Marcelle et Fernand Rivière
membres du groupe F.T.P. Chanzy


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           La guerre de 1914-1918, première guerre mondiale, avait provoqué, dès la fin des hostilités, un fort courant de pensées pacifistes, voire anti-militaristes. La "der des ders"! Chacun pouvant avoir en mémoire les souffrances endurées par tous ces anciens combattants que l'on côtoyait chaque jour; mutilés, gazés ou "gueules cassées". Pour souligner le trait il était impossible d'éviter les veuves éplorées sous leurs vêtements de deuil. Cela ne suffit pas à éviter le deuxième conflit mondial de 1939-1945. L'horreur s'amplifia et aux pertes enregistrées sur le champ de bataille, à l'internement des soldats prisonniers s'ajoutèrent les victimes de la terreur, mortes sous la torture, les balles du peloton d'exécution ou dans les camps de concentration de sinistre mémoire mémoire. Des hommes et des femmes sacrifiés au nom d'une idéologie faite de racisme, d'intolérance et de barbarie.

           "Plus jamais çà!". Une formule courte, ferme et définitive, que l'on a souvent entendue. Mais, en réalité, le temps passe. L'oubli s'installe et, petit à petit, les nostalgiques de ce triste passé, car ils existent, osent se faire remarquer. On minimise "l'holocauste"; on s'attarde sur des points que l'on veut de détail. Bientôt, se présentent de pseudo-universitaires qui entendent refaire l'Histoire à leur façon. Le plus grave est qu'il se trouve des gens sérieux pour les entendre.

           Heureusement, les victimes du nazisme, qui furent le plus souvent des résistants, ont encore la force et la volonté de fréquenter collèges et lycées où, à la demande de nombreux professeurs d'Histoire, ils apportent leur témoignage et leur douloureuse expérience. Mais le temps, que nous ne maîtrisons pas, éclaircit leur troupe. Année après année, mois après mois, jour après jours, ils disparaissent. Il viendra un moment où les accusateurs ne seront plus.

           Ils avaient un héritage à nous confier. Avons-nous fait ce qu'il y avait à faire pour le recevoir? D'abord, au niveau familial. Avons-nous su écouter comme il le fallait ceux qui avaient tant de choses à nous confier? Avons-nous su faire parler celui ou celle qui avait choisi le silence, par pudeur ou par peur de devoir ouvrir des plaies difficiles à cicatriser? Il est vrai que certaines générations ont souhaité tout ignorer et que des familles ont osé rejeter à la rue des rescapées des camps d'extermination. De honte!.

           Et puis, il y les morts. Pour eux, le plus difficile est de vouloir reconstituer leur passé. Les archives familiales sont rares; surtout lorsque l'action était clandestine. Il nous faut compter sur le monde extérieur. Un travail long et difficile. Mais, il ne suffit pas de traiter les divers documents administratifs que le décès a pu motiver. Allez plus loin et vous serez étonnés de constater qu'une mort héroïque ne met pas, pour autant, à l'abri des tracasseries administratives ou des aigreurs d'un envieux ou de celles d'un ancien vaincu.

           Mais encore, la masse d'informations collectées ne doit pas rester passive. Il est impératif de la diffuser au niveau familial, afin que chacun soit dépositaire de cette partie de patrimoine. cet éclatement paraît indispensable à notre époque où tant de familles sont morcelées physiquement ou géographiquement.

           Le dossier de Marcelle et de Fernand Rivière reposait dans un tiroir. Depuis plusieurs années, il demeurait inactif, non pas par oubli mais par amour; l'affection d'une soeur fidèle à leur double image. elle n'attendait rien de ce monde extérieur qui s'était montré si décevant au lendemain de la Libération. Ceci explique que les autorités ne surent retrouver son adresse lorsque l'administration décidé d'attribuer, à Fernand comme à Marcelle, la Médaille de la Résistance à titre posthume. Mais cet isolement pouvait aussi se montrer préjudiciable à l'enseignement familial. Je ne suis pas sûr que l'information nécessaire ait été diffusée à chacun d'entre nous. Il était donc indispensable d'ouvrir à nouveau ce dossier, d'actualiser les données qu'il contient, ou qu'il devrait contenir, et de le diffuser à chaque niveau, en espérant que l'un d'entre eux acceptera de poursuivre le travail de recherches et oeuvrera afin que les acquis soient conservés.

           J'ai toujours su que Fernand et Marcelle étaient politiquement engagés. Je n'avais aucune autre précision particulière si ce n'est qu'ils étaient tous deux communistes. A mon humble avis, ce n'était pas là un choix facile à faire dans les années 30; et encore moins pour une femme. Militants de base, le dimanche, ils couraient les marchés pour vendre "l'Huma". La dernière image que je garde de nos ultimes vacances chez eux, à Cognac, était celle d'une maison ouverte à tous ceux dans le besoin; à cette époque, c'étaient les réfugiés espagnols.

           On connaît aujourd'hui les méfaits perpétrés par la structure bolchevique; les purges politiques, la chasse menée contre les koulaks, le goulag, les peuples assujettis sous le joug doctrinaire, la politique nationale ou internationale prise dans les rouages de la mécanique du Kremlin. Et puis, des millions de morts...

           Je n'ai jamais pu envisager d'assimiler cette cruauté, cette barbarie, au dévouement et à l'abnégation que Fernand et Marcelle ont su nous proposer. Il me semblait qu'il y avait là deux mondes différents. Cette impression devait se confirmer à la lecture du dernier courrier que Fernand adressait à sa soeur, à la veille de son exécution. De même, pour Marcelle, les témoignages apportés par ses compagnes de cellule ou de camp font apparaître une femme au coeur brisé, au corps blessé, mais avec encore assez de flamme et de dévotions pour envisager, après la Libération qu'elle espérait encore, de s'occuper de l'enfance malheureuse.

           J'ai donc très mal ressenti l'amalgame que certains ont pu faire en confondant communiste et nazi.

           C'est peut-être ce jour-là que j'ai souhaité utiliser ma plume pour rédiger cet hommage à deux êtres d'exception.